jeudi 2 mars 2017

SOUVENIRS, SOUVENIRS ...


On habitait à quatre blocks du lac...et à deux pas du parc municipal. Il faisait toujours beau et très chaud. En sortant du travail au milieu de l’après-midi, Solange descendait downtown acheter quelques crabes et écrevisses qu’elle venait ensuite décortiquer, déguster dans ou devant la maison que nous louions rue du général Haig. Moi, je traversais le City Park à vélo en prenant le temps de flâner et m’octroyant des détours à travers les nombreuses allées. Le soir, on sortait au centre et dans les quartiers chauds de la ville. Il y avait des bars partout avec de la musique, de la musique, tous les styles de musique. Cette ville était avant tout une ville aux sonorités multiples avec une ambiance que je n’ai jamais retrouvée nulle part ailleurs à travers le monde.
Les maisons étaient pour la plupart en bois, à un niveau ou parfois deux, posées sur des parpaings avec un terrain autour : une allée à l’arrière pour l’accès en voiture aux parkings ou garages et à l’avant, pas de clôtures, de la pelouse, des arbres et arbustes (magnolias, azalés, …) avec des fleurs exubérantes toute l’année. Il faisait bon vivre (« laissez le bon temps rouler ») et les voisins se saluaient, même en ville tout le monde se souhaitait une belle journée, une soirée agréable, bref, c’était non seulement convivial, mais en y habitant, on avait vite l’impression de vivre dans un grand village.
Même si la ville comptait un peu moins de 500 000 habitants, on ne le sentait pas tant elle était étendue et verdoyante avec ses maisons individuelles et ses allées boisées. Il fallait bien sûr apporter de l’ombre sous ce climat tropical, chaud et humide.
Et puis, comment travailler dans une cité où c’était la fête toute l’année, où tous les prétextes étaient bons pour se retrouver à plusieurs, boire, manger et danser dans une sensualité démesurée. Et la musique : l’âme profonde de cette ville, son essence, sa raison d’être, sa vitalité. Elle était omniprésente partout. Elle occupe les bars, les trottoirs et déborde très souvent dans les rues pour se transformer en des parades improvisées parfois au milieu de la nuit. Il n’y avait d’ailleurs plus de nuits et de jours : la fête se déclinait vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Quand on habitait là, on ne voulait, ne pouvait plus partir : la vie y était douce, agréable, conviviale, colorée, chaude… Rien à voir avec les cités prospères où l’argent est central et où le look détermine vos relations. Rien de cela ici. Mélange ethnique, liberté, extravagance, tolérance : tout était possible !
Même dans le malheur, la fête reprenait le dessus et il a fallu du courage pour faire revivre ce qui a été rasé en une nuit.



En cette fin août 2005, un enième ouragan traversa la région, mais cette fois-ci les digues se sont brisées (on compta jusqu’à cinquante brèches) et la ville fut engloutie. Longtemps après le drame, des enquêtes approfondies ont montré combien le génie civil était responsable en ne construisant pas ces murs de béton dans les normes de sécurité faisant des économies drastiques sur les matériaux. Pendant des jours, la population est restée livrée à elle-même, les services de l’État, les aides ne se mobilisèrent que plus tard. Le Superdome et le Convention Center accueillirent des milliers de réfugiés, malades, handicapés, personnes âgées, mais sans nourriture, sans sanitaires en état, plus d’électricité, des conditions improvisées. Des corps flottaient au-dessus de l’eau, les habitants ne pouvaient compter que sur eux-mêmes mais les solidarités étaient là, dans l’âme même de la ville. Celles et ceux qui voulaient traverser le pont vers l’état voisin étaient repoussés par la force policière qui craignait un envahissement de malfrats et autres délinquants ! Le président survola la ville dans son avion privé au bout de quelques jours... en guise de compassion. Et quand enfin l’armée arriva au bout d’une semaine, elle en fit une zône militarisée où on embarqua les gens sous la menace des armes, dans des camions, en séparant même les familles pour les déporter dans des camps de tentes provisoires (qui durèrent plusieurs années) dans les états voisins. Beaucoup ne revinrent jamais car ils avaient tout perdu et n’avaient pas de moyens pour reconstruire. D’ailleurs, la suite montra bien qu’il y avait une sorte de volonté pour finalement raser la ville et la reconstruire pour en changer la population. Car à majorité noire et démocrate, cela ne plaisait pas à tout le monde, alors pourquoi pas reconquérir des territoires et en changer la sociologie et ...la majorité politique.

Mais c’était sans compter sur l’amour des habitants pour leur ville, sans compter sur cette capacité fantastique de la solidarité, de la volonté incommensurable à vouloir garder l’âme de leur ville, lui redonner ce qu’elle avait perdu et que certains voulaient transformer pour en faire une ville comme les autres. La musique, poumon et coeur de la ville, fit résonner à nouveau ses notes de joies partagées. Petit à petit la vie reprit, même si tout ne fut pas reconstruit et qu’une partie importante, un quart de la population, ne put pas revenir par manque d’argent. Il y eut des donateurs qui aidèrent pour des projets de reconstruction « Make it right  et Teach for America » et plein de jeunes du pays qui vinrent aider et pour certains s’y installer. Cela aida pour l’espoir dans la durée. 



 
La musique traverse à nouveau les murs des bars, parade dans les rues et les sourires reviennent sur les visages. Mais personne n’oublie les nombreuses victimes, personne n’a été épargné par la catastrophe et tous avouent que leur façon de voir la vie a changé à partir du moment où on se rend compte qu’en un instant on peut tout perdre et que l’argent n’a plus la même valeur, le matériel non plus. Il reste les peines indélébiles, mais qui dans cette ville, se transforment toujours en fêtes.
Ce sont les îles des Caraïbes qui se sont déportées vers le continent, un peu d’Afrique, une ambiance hispanique et le jazz, le blues, le rock, les fanfares, la danse, les odeurs des mets parfumés, les sourires, les big hug, la chaleur…

Katrina a englouti New-Orléans, mais cette ville a une âme trop forte, une énergie chaleureuse qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qui fait qu’elle ne mourra pas.
Quand je vois des photos de la Nouvelle-Orléans aujourd’hui, je reconnais des lieux encore debout, mais je vois aussi les stigmates de la destruction. Quand je vois des reportages sur la ville dix ans après la catastrophe, je reconnais et je sens bien que cette ville a su garder son âme et qu’elle sera éternelle… et toujours très, très particulière !
Les deux années passées là-bas ont transformé ma vie, ont enrichi ma façon de voir les choses et j’y ai toujours encore une attache particulière et des émotions très fortes quand je me remémore tous ces moments de joies, ces rencontres merveilleuses et une qualité humaine de vie exceptionnelle.

En ce temps de MARDI GRAS, les souvenirs remontent... Quand je vois les USA aujourd’hui avec ce président dont je ne trouve même pas les mots justes pour le caractériser et aussi l’état politique de la France (où nous sommes finalement revenus), je ne peux que constater l’accélération du temps et tout ce qu’on a perdu en humanité, en tolérance, en libertés. Et pour me consoler parfois, je remets des vieux disques vinyles sur ma platine : « My darling New-Orléans …. » 
de Little Queenie … par exemple !



________________________________________________________________________________

Pour en savoir plus :




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont lus avant publication non pas pour censure ou rejet, mais pour un filtrage concernant insultes, attaques personnelles essentiellement.
Vous pouvez signer vos textes-commentaires pour des réponses personnalisées, des échanges dans le débat.